Comme un hapax dans le poême de sa vie
Je traverse la cour qui mène à l’entrée de son immeuble. Je suis nerveuse à l’idée qu’il m’attend. Il souhaite me revoir et je n’ai pas pu lui opposer un refus. Je connais bien cet homme, si bien que des souvenirs d’"exothermie" entre nous me reviennent en mémoire. Que me veut-il aujourd’hui ? Peut-être qu’en bon hypocondriaque qu’il est, il a besoin d’être rassuré sur sa mine du jour ? Peut-être devrais-je lui dire qu’il est effectivement malade puisque atteint d’hypocondrie ? S’il adhère à cela il serait par définition guéri puisqu’il devrait accepter le caractère illusoire de ses autres maladies comme l'écrivait Paolo Repetti dans son journal.
Mais je m’égare. Qu’est-ce qui peut l’amener à souhaiter me voir ce soir précisément ? Une image me traverse alors l’esprit, surgissant de cette nuit intense qui m’a bouleversée, il y a quelques mois. Mon corsage s’ouvrit sous ses doigts comme par déhiscence offrant mes fruits mûrs à ses caresses. J’étais comme atteinte de dysesthésie, mes cinq sens en émoi. Comment oublier ces instants magiques ? Nos deux corps se fondaient en lunules, moi sur lui, lui sur moi. J’approchais de l’hypoxie frôlant de près l’anoxie sous son étreinte. Le léger duvet recouvrant mon corps devenait aussi tactile que les vibrisses d'un chat, comme pour mieux sentir son corps au contact du mien.
Mais très vite, sa raison l’emporta et je ressentis l’impression étrange d’avoir été comme un hapax dans le manuscrit de sa vie. Je n’existais plus, cette femme qu’il avait envoûtée l’espace d’une nuit en était réduite à côtoyer la Gehenne dans tout son être endolori.
J’arrivais devant la porte de son appartement et frappais d’une main tremblante. Il m’ordonna d’entrer. Je sentis la chaleur monter en moi lorsque je l’aperçu fouillant dans un vieux compendium qu’il avait dû récupérer à la braderie d’une vieille école. Il me demanda de m’asseoir et, sans même me regarder, me posa cette question pour le moins surprenante : « Depuis combien de temps n’as-tu pas fait l’amour ? ». Je restais scotchée à ses lèvres me demandant si ce qui venait d’en sortir était une question directe ou une métonymie m’invitant à m’immerger à nouveau sous ses caresses…
Je le regardais droit dans les yeux avec un courage que je ne me reconnaissais pas et lui indiquait que ma présence ici n'avait qu'une seule raison valable, utiliser les 14 mots du garde-mots.
Il me suivit du regard, lorsque je me levais, pris mon sac et repartis en direction de la porte. Avant que je ne sorte il m'arrêta et me dit : "Mais, tu n'as utilisé que 13 mots ?". Je me délivrais de son étreinte et lui répondis fermement : "Oui, tu as raison, je te laisse à ta solitude et à tes soliloques." Et je m'éloignais définitivement de cet appartement et de cette cour, satisfaite de l'histoire où ces mots m'avaient amenée. Quelle serait la prochaine ?
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Texte écrit à partir de 14 mots piochés au hasard dans l'excellent blog du Garde-mots.